1. L’ex-président tchadien Habré jugé au Sénégal, un procès “historique”
19.07.2015 à 03:00 – Par Coumba SYLLA – AFP
L’ex-président tchadien Hissène Habré est jugé à partir de lundi au Sénégal lors d’un procès “historique”: pour la première fois un ancien chef d’Etat africain devra répondre de ses actes devant un tribunal d’un autre pays d’Afrique.
Hissène Habré, 72 ans, en détention depuis deux ans au Sénégal où il a trouvé refuge après avoir été renversé par l’actuel président Idriss Deby Itno, est poursuivi pour “crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture” sous son régime (1982-1990).
Il sera jugé par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé par l’Union africaine (UA) en vertu d’un accord avec le Sénégal, comprenant des magistrats sénégalais et africains, dont le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, qui présidera les débats.
Ce procès inédit doit aussi permettre au continent, où les griefs se multiplient contre la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à La Haye, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l’exemple, soulignent des organisations de défense des droits de l’Homme.
“C’est la première fois au monde – pas seulement en Afrique – que les tribunaux d’un pays, le Sénégal, jugent l’ancien président d’un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l’Homme”, a déclaré à l’AFP Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).
Mais l’unique accusé “ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité” et “a décidé de renoncer à participer à ce procès”, a indiqué jeudi à l’AFP un de ses avocats, Me Ibrahima Diawara, en précisant: “Comparaître dans un procès est un droit, pas une obligation”.
Selon lui, Hissène Habré – qui “va mieux”, après une attaque cardiaque en juin – n’entend pas comparaître et a demandé à ses avocats de ne pas assister non plus aux audiences.
En vue de ce procès, le Sénégal a modifié ses lois pour adopter la compétence universelle permettant de juger un étranger pour des actes commis hors de son territoire. Le Tchad a de son côté autorisé les magistrats des CAE à enquêter sur place.
– ‘Procès pour l’Afrique’ –
Depuis l’ouverture de l’instruction, en juillet 2013, “il y a eu quatre commissions rogatoires ayant permis d’entendre presque 2.500 victimes et une soixantaine de témoins”, a précisé cette semaine le procureur général des CAE, Mbacké Fall.
Plus de 4.000 victimes “directes ou indirectes” se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d’entendre 100 témoins. Les audiences seront “filmées et enregistrées” pour être diffusées en différé et “permettre à un maximum de personnes de suivre” le procès, d’après Mbacké Fall.
Seule une sélection des débats sera montrée par la télévision publique sénégalaise RTS, “le diffuseur hôte”, qui mettra gratuitement un signal à la disposition des médias, a-t-il précisé.
Les audiences sont prévues du 20 juillet au 22 octobre. Si l’accusé est reconnu coupable, s’ouvrira une autre phase durant laquelle seront examinées d’éventuelles demandes de réparation au civil.
En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l’UA, mais il n’est prévu “aucune mesure d’assouplissement de la peine”, ni grâce, ni amnistie, a précisé M. Fall.
Le budget du tribunal spécial “avoisine les 6 milliards de FCFA” (près de 9,15 millions d’euros), financés par plusieurs bailleurs: France, Belgique, Pays-Bas, Etats-Unis, UA, Union européenne, Tchad, a-t-il ajouté.
Pour Assane Dioma Ndiaye, un avocat des parties civiles, ce procès sera “historique”. “Il ne pouvait pas y avoir d’impunité dans cette affaire”, a dit Me Ndiaye, soulignant les “attentes grandissimes des victimes”.
Parmi elles, Clément Abaïfouta, présent à Dakar, espère comprendre enfin les motifs de son arrestation il y a 30 ans et de ses quatre effroyables années de détention.
“Je veux poser cette question à Habré: pour quelle raison ai-je été arrêté? Pour quelle raison ai-je souffert?”, a expliqué à l’AFP M. Abaïfouta, président de l’Association des victimes contre la répression politique au Tchad (AVCRP).
Lors d’une visite début juillet à Conakry, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a invité les Africains à “donner la priorité aux victimes”, qui se comptent souvent par “centaines ou milliers”, plutôt que de “protéger les auteurs des crimes”.
“C’est l’Afrique qui est venue à la CPI, ce n’est pas la CPI qui est allée en Afrique”, a-t-elle dit, en réaction aux critiques contre cette juridiction internationale, rappelant que la plupart des enquêtes ouvertes sur le continent l’avaient été à la demande des Etats concernés.
Pour Alioune Tine, directeur d’Amnesty pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, pouvoir faire “juger un président de la République par un tribunal africain pour crimes de guerre, contre l’humanité” marquera “le début d’une longue marche” du continent vers sa “souveraineté judiciaire”.
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2. Sénégal: l’ex-président tchadien Habré amené de force à son procès “historique”
20.07.2015 à 18:30 – Par Coumba SYLLA – AFP
Le président tchadien déchu Hissène Habré a été amené de force au tribunal spécial de Dakar où il est jugé depuis lundi pour crimes contre l’humanité, dans un procès qui aura valeur de test pour la justice en Afrique.
Hissène Habré, en détention depuis deux ans au Sénégal, où il a trouvé refuge après avoir été renversé en 1990 par l’actuel président Idriss Deby Itno, est poursuivi pour “crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture” sous son régime (1982-1990) qui ont fait quelque 40.000 morts, selon les organisations de défense des droits de l’Homme.
Le prévenu, 72 ans, qui avait annoncé son refus de comparaître, vêtu de blanc et coiffé d’un turban, a été amené de force et porté dans le box des accusés au palais de justice de Dakar par des agents de l’administration pénitentiaire.
Chapelet de prière à la main, l’ancien président tchadien a seulement levé le poing et crié “Allah akbar” (Dieu est le plus grand).
Le procès, devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé par l’Union africaine (UA) en vertu d’un accord avec le Sénégal, s’est ouvert peu après 10H00 (locales et GMT), après l’évacuation par les gendarmes de partisans de l’accusé, qui ont hurlé des slogans hostiles à la Cour.
“Même s’il ne parle pas, il faut qu’il écoute ce que nous avons à dire et qu’il nous voie de ses propres yeux”, avait déclaré la semaine dernière Souleymane Guengueng, détenu pendant plus de deux ans et président fondateur de l’Association des victimes de crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH).
Le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, a constaté à l’ouverture du procès que la défense n’était “pas représentée”, avant de poursuivre la séance, en présence d’environ un millier de personnes, sans affluence particulière autour du palais de justice.
L’accusé, qui “ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité”, selon un de ses avocats, Me Ibrahima Diawara, avait donné instruction à ses conseils de ne pas assister non plus aux audiences.
– ‘A l’Afrique de juger ses enfants’ –
Le procureur général des CAE, le Sénégalais Mbacké Fall, a rendu hommage aux survivants “qui ont eu le mérite de porter et de poursuivre le combat contre l’impunité”.
“Le chemin parcouru pour arriver devant ce prétoire a été long”, mais le travail de la cour “n’est point un acharnement contre la personne de l’accusé”, a-t-il assuré.
Auparavant, interrogée par l’AFP sur ce qu’elle attendait du procès, une partisane de Hissène Habré avait répondu: “Rien, ils ont déjà jugé et condamné le président. C’est un complot de l’Occident”.
Ce procès inédit doit aussi permettre au continent, où la Cour pénale internationale (CPI) est fréquemment accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, de montrer l’exemple.
“L’Afrique doit donner la preuve qu’elle est capable de juger ses propres enfants pour que d’autres ne le fassent pas à sa place”, a souligné dimanche le porte-parole des CAE, Marcel Mendy.
“C’est la première fois au monde – pas seulement en Afrique – que les tribunaux d’un pays, le Sénégal, jugent l’ancien président d’un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l’Homme”, a souligné Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).
Ce procès montre que “les dirigeants accusés de crimes graves ne devraient pas supposer qu’ils pourront indéfiniment échapper à la justice”, s’est félicité lundi le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Zeid Ra’ad Al Hussein.
Jusqu’à sa chute, Hissène Habré a bénéficié du soutien américain et français contre la Libye du colonel Kadhafi, considéré comme un “parrain du terrorisme”.
Plus de 4.000 victimes “directes ou indirectes” se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d’entendre 100 témoins. Afin de permettre au plus grand nombre de suivre les audiences, elles seront filmés puis diffusées en léger différé.
Les audiences sont prévues jusqu’au 22 octobre. En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l’UA.
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