1. Côte d’Ivoire: la défense de Simone Gbagbo dénonce un verdict “scandaleux”
10.03.2015 à 23:00 – Par Joris FIORITI – AFP
Après la lourde condamnation de Simone Gbagbo par la justice ivoirienne, ses avocats dénonçaient mardi un verdict “scandaleux”, même si l’ex-Première dame pourrait encore bénéficier d’une grâce présidentielle en signe de réconciliation.
“Les victimes ont enfin du baume au coeur” dans un pays “résolument engagé” dans “la lutte contre l’impunité”, s’est félicité au lendemain du verdict le Rassemblement des républicains, le parti du chef de l’Etat Alassane Ouattara.
L’ex-Première dame, épouse du président Laurent Gbagbo (actuellement incarcéré à la Haye par la Cour pénale internationale) a été condamnée dans la nuit de lundi à mardi à 20 ans de prison pour son rôle durant la crise post-électorale de 2010-2011.
A l’unanimité des jurés, elle a été reconnue coupable d'”attentat contre l’autorité de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public”.
La défense, qui a annoncé un pourvoi en cassation, a dénoncé un droit ivoirien “bafoué”: “à quoi sert de condamner à 20 ans de réclusion alors qu’on prône la réconciliation?”, s’est interrogé Me Mathurin Dirabou.
Le parquet général avait requis une peine moitié moindre, soit dix ans d’emprisonnement, contre l’ex-Première dame.
Michel Gbagbo, fils de l’ex-président issu d’un premier mariage avec une Française, a lui été condamné à 5 ans d’emprisonnement.
“Le verdict est à l’image du procès. Il est honteux, scandaleux”, sest écrié Me Habiba Touré, avocate de Mme Gbagbo.
“Maintenant, si M. Ouattara se prend pour un César, qui peut lever ou abaisser le pouce pour sauver un condamné, c’est son problème”, ironise Me Touré, en référence à une possible grâce présidentielle.
“Mais cela montre bien que la démocratie n’est pas réelle en Côte d’Ivoire, où la justice est instrumentalisée”, a accusé l’avocate.
Mi-janvier, le président Ouattara avait lui-même évoqué cette possibilité. “Une fois que nous aurons les jugements, bien évidemment le chef de lEtat a un certain nombre de prérogatives en matière de grâce et damnistie à proposer à lAssemblée nationale”, avait-il remarqué.
“Le président l’a dit, il le fera”, a réaffirmé mardi à l’AFP un proche de M. Ouattara, pour qui la lourdeur de la peine prononcée contre Simone Gbagbo ne changera rien à cette décision.
– ‘Grandeur d’âme’ –
Les sympathisants pro-Gbagbo, tout comme les organisations de défense des droits de l’homme, pointent les nombreux manquements du procès, où aucune preuve matérielle n’a, selon eux, été fournie.
Il n’a pas été mené “conformément aux normes en vigueur en matière de procès équitable”, pointe l’ONG Human Rights Watch (HRW).
Aucun dignitaire pro-Ouattara n’a inquiété à ce jour, nourrissant les accusations de “justice des vainqueurs”.
L’ex-Première dame, également inculpée pour “crimes contre l’humanité” par la Cour pénale internationale, où Abidjan refuse de la transférer, arguant d’un impact négatif sur la réconciliation nationale, est un personnage très clivant en Côte d’Ivoire.
“Le gouvernement ivoirien devrait remplir lobligation légale qui est la sienne et transférer Simone Gbagbo à la CPI”, note HRW, ajoutant que l’ex-Première dame a été jugée à Abidjan pour des crimes contre l’Etat et non pour des crimes de sang, que lui reproche La Haye.
Un second procès sur les exactions commises durant la crise, encore en instruction, doit se tenir à terme à Abidjan, selon plusieurs ONG des droits de l’Homme.
Respectée pour son parcours dans l’opposition, Mme Gbagbo a été redoutée dans son rôle de “présidente” à poigne, souvent accusée d’être liée aux “escadrons de la mort” contre les partisans d’Alassane Ouattara.
L’amnistie “fait partie du domaine du possible”, reconnaît Joël N’Guessan, le président du Rassemblement des républicains, le parti présidentiel.
Des “discussions” en ce sens se sont tenues “entre le FPI (Front populaire ivoirien, le parti pro-Gbagbo) et le gouvernement”, observe Alphonse Douati, un cadre de ce parti pro-Gbagbo.
Avec une grâce, le chef de l’Etat “donnera des gages de bonne volonté” à l’opposition avant l’élection d’octobre, ce qui favorisera la “décrispation”, explique un observateur, convaincu d’un “arrangement politique” à venir.
La Côte d’Ivoire vivra dans sept mois une présidentielle cruciale, censée parachever sa stabilisation.
Le président Ouattara est pour l’instant le seul candidat d’envergure déclaré. Mais pour les partenaires du pays, la participation au scrutin du FPI est essentielle.
Son actuel président Pascal Affi N’Guessan, très contesté en interne, a été condamné lors du procès à 18 mois de prison avec sursis. Une peine couverte par sa détention provisoire.
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2. Côte d’Ivoire: pourvoi en cassation pour Simone Gbagbo
16.03.2015 à 22:30 – Par Christophe KOFFI – AFP
Un pourvoi en cassation contre la lourde condamnation de Simone Gbagbo a été annoncé lundi, alors que de premiers soldats sont jugés devant le tribunal militaire d’Abidjan pour des crimes commis durant la crise de 2010-2011, marquant une accélération judiciaire avant la présidentielle d’octobre.
Ce pourvoi était attendu de la part de la défense. Mais il a aussi été demandé, à la surprise générale, par le parquet général, qui avait vu ses réquisitions – 10 ans de réclusion contre l’ex-Première dame – doublées dans le verdict rendu le 10 mars par la cour d’assises d’Abidjan.
“Le parquet a introduit un pourvoi en cassation au regard de la loi”, a déclaré à l’AFP l’avocat général Simon Yabo Odi, sans préciser les motivations de ce pourvoi.
“On s’est pourvu en cassation. La procédure est irrégulière et doit être frappée de nullité”, a fait savoir de son côté Habiba Touré, une avocate de Mme Gbagbo, condamnée à 20 ans de réclusion.
Il n’est pas possible de faire appel d’un verdict de cour d’assises dans le droit ivoirien. Il est possible en revanche de se pourvoir en cassation. La Cour de cassation examinera alors la justesse d’un verdict au regard du droit et non sur le fond.
Lundi après-midi, l’avocat Mathurin Dirabou a annoncé à l’AFP le pourvoi en cassation des 78 co-accusés de Simone Gbagbo.
Leur procès, qui a duré plus de deux mois, a permis à la justice ivoirienne de se plonger dans la crise postélectorale de 2010-2011, causée par le refus de l’ex-président Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire de l’actuel chef de l’Etat Alassane Ouattara à la présidentielle de novembre 2010.
– ‘Beaucoup de zones d’ombre’ –
Moins d’une semaine après le rendu du verdict, un nouveau marathon judiciaire semble avoir démarré au tribunal militaire.
Un commandant et un maréchal des logis ont été jugés lundi devant un tribunal militaire pour “meurtre par usage d’armes lourdes” dans le cadre du bombardement d’un marché d’Abobo, une commune favorable à Alassane Ouattara, le 17 mars 2011.
“Nous sommes profondément dubitatifs. Il y a beaucoup de zones d’ombre”, a déclaré le procureur militaire, requérant la relaxe des deux accusés. La décision n’est pas encore connue.
Cette affaire, qui avait fait grand bruit, devait précéder l’audience de huit soldats accusés de meurtres lors de la répression d’une manifestation d’opposition à l’ex-président. Ce procès ne s’est finalement pas tenu.
Une trentaine de soldats se succèderont ces prochaines semaines à la barre pour justifier des violences commises durant la crise. Plus de 3.000 personnes sont mortes en cinq mois.
“Un calendrier aussi serré laisse à penser qu’on attend certains résultats qu’on pourrait utiliser politiquement”, observe Yacouba Doumbia, président du Mouvement ivoirien des droits de l’Homme (MIDH), interrogé par l’AFP, pour qui une justice aussi “séquencée” paraît “curieuse”.
– ‘Précipitation’ –
Abidjan prône la réconciliation à sept mois de la présidentielle. Le président Ouattara a lui-même évoqué en janvier une possible grâce ou amnistie pour les condamnés. Un telle mesure interviendrait au nom de la “décrispation” politique, selon plusieurs observateurs, alors que la participation de l’opposition au scrutin est nécessaire.
“Le gouvernement a besoin d’un bilan en matière de justice”, décrypte un observateur souhaitant rester anonyme. “C’est une bonne chose, mais cela représente un risque : “la précipitation se traduit souvent par de grandes approximations judiciaires, assez préoccupantes”, poursuit-il.
Trois ONG, dont la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et le MIDH, ont déploré jeudi dernier l'”absence déléments de preuve probants”, la “faiblesse des témoignages à charge et de laccusation dans son ensemble” durant le procès de Simone Gbagbo, aux “insuffisances préoccupantes”.
“Ce procès doit servir de contre-exemple pour les procédures en cours” sur les crimes de sang commis durant la crise, qui donneront lieu à un second procès, à la date encore inconnue, a souligné Patrick Baudouin, président dhonneur de la FIDH.
Faute de redresser la barre, “la Côte dIvoire devra transférer Simone Gbagbo (…) à la CPI”, a commenté Me Baudouin.
“La CPI pourra se servir de la faiblesse du dernier procès pour réclamer son transfèrement. Ils pourront argumenter et dire : +envoyez-nous Simone Gbagbo pour qu’elle puisse être jugée convenablement+”, observe un expert occidental en droits de l’Homme.
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